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Ma condition

Oeil vu en coupe
La face cachée de la rétine
Oeil vu de face

Malgré tous les efforts de compréhension que la plupart s'efforcent de manifester envers moi, très peu cependant arrivent à imaginer mon acuité visuelle. Inversement, je ne saurais imaginer ce que peut représenter une vision parfaite. Alors j'ai pris l'initiative d'exposer ma facette du sujet afin de tenter de répondre à certaines questions qu'on n'osera pas poser par délicatesse ou par timidité. L'exposé qui suit, tente de répondre aux questions que je crois être les plus soulevées.


Est-ce que tu es albinos ?

OUI. Le milieu médical considère l'albinisme comme une malformation qui se traduit par un manque de pigmentation (cellules qui donnent la couleur) de la peau, des cheveux et des poils. C'est aussi grâce à la pigmentation que la rétine (le fond de l'œil) est noire chez une personne normale. Cette anomalie peut se manifester à différents degrés. Les albinos purs ont les cheveux aussi blancs que du lait et les yeux rouges car l'absence de pigmentation permet de voir alors la couleur du sang circulant dans le réseau capillaire, ce qui donne la couleur rouge aux yeux. Pour la même raison, une blessure en surface de la peau fait plus contraste que la normale et plus "spectaculaire". Comme l'intérieur de mon œil n'est pas noir, des reflets parasites provoquent l'éblouissement sous la lumière intense.

L'albinisme provoque également un autre problème appelé nystagmus, mouvement des yeux qui est une conséquence de l'éblouissement. Lorsque le cerveau décèle un éblouissement, il commande à l'œil de fuir ce point trop lumineux mais, comme c'est pareil ailleurs, le cerveau donne de nouveau la même commande, entraînant ainsi le mouvement. C'est le syndrome du chien qui courre après sa queue. Une autre conséquence du nystagmus est le mauvais fonctionnement de la "mise au point automatique" des yeux, l'effet se traduit simplement par une vision embrouillée et non par des images qui bougent.

Toute personne albinos a ces mêmes problèmes mais à différents degrés. Certaines ne voient que la lumière et les ombres alors que d'autres peuvent, à la limite, conduire une voiture en portant des verres appropriés. Dans mon cas, parce que je ne suis pas pur, j'ai les yeux bleus et les cheveux moins blancs, J'ai aussi moins de problèmes avec le soleil, et le nystagmus se manifeste moins. Je dois quand même appliquer une bonne crème solaire de facteur 15 ou plus, et m'abstenir d'activité qui demandent une acuité visuelle parfaite tel que le pilotage d'avion et même la conduite automobile jusqu'à récemment. Heureusement cependant, ma position intermédiaire me permet de fonctionner d'une façon qui se rapproche de la normale pour la plupart des activités de la vie courante.

Quelques mots sur la conduite automobile. Dans certains états américains, les personnes ayant des acuités visuelles comparables aux miennes peuvent obtenir un permis de conduire sous certaines conditions. Récemment au Québec, la Régie d'Assurance Auto du Québec a autorisé l'octroi d'un permis à un groupe expérimental de malvoyants. L'Institut de Réabilitation de Québec a piloté un projet de cours de conduite adapté. Actuellement, le programme est temporairement suspendu en raison de rajustements requis. Je me suis inscrit sur une liste d'attente pour faire partie d'un prochain groupe.

As-tu des problèmes a voir les couleurs ?

Absolument pas. J'ai même déjà travaillé dans le laboratoire d'un photographe professionnel.

Est-ce vrai que les albinos voient mieux la nuit ?

Non. La différence d'acuité avec des voyants dits parfaits est trop importante. Cependant, les reflets à l'intérieur du globe oculaire, généralement nuisibles sous la lumière intense sont mis à profit dans la pénombre. Alors dans mon cas, l'écart de visibilité entre le jour et la nuit est moins prononcé que chez les "parfaits" voyants.

Les albinos ont-ils une espérance de vie plus courte que les autres ?

Le manque de pigments permet à plus de rayons ultraviolets de passer, augmentant ainsi les risques de développer un cancer de la peau, ce qui réduirait l'espérance de vie. Cependant, je reste un peu sceptique, car on peut contourner le problème en se protégeant davantage et en allant moins au soleil.

Tes parents étaient-ils albinos ?

Ni un ni l'autre. Cependant, ils en ont eu trois. J'ai une sœur et un frère qui, en plus, est le jumeau de mon autre sœur, qui elle, a les cheveux bruns et une vision normale. En remontant d'environ deux générations, nous n'en connaissons aucun. Cependant il faut qu'il y en ait eu quelque part puisqu'un de mes parents était porteur du gène récessif.

Existe-t-il une cure à ce handicap ?

Pas vraiment. La seule correction possible est celle de la déformation du cristallin avec des verres correcteurs ou de lentilles cornéennes. S'il s'agissait d'une cataracte, la solution serait simple. Grâce à la chirurgie au laser, on considère aujourd'hui la greffe de la cornée comme une chirurgie mineure praticable sous anesthésie locale. Son taux de succès est d'environ 80% ou plus. Pour ce qui est de la greffe de l'œil au complet, il ne faut même pas y penser pour un avenir rapproché. En effet, le nerf optique reliant la rétine au cerveau comporte environ un million de petits nerfs reliant chaque point de l'image à son neurone respectif. Avec la petitesse du diamètre du nerf complet (à peine la taille d'un crayon), imaginez maintenant ce que peut représenter l'idée de raccorder chaque brin, qui est un million de fois plus petit. En prime, contrairement à un câble téléphonique, rien ne permet d'identifier chaque brin par sa propre couleur! S'il n'existe pas de remède dans l'état actuel de la recherche médicale, il existe cependant des façons de contourner les problèmes.

Quelle est ton acuité visuelle ?

L'évaluation des spécialistes de la vue, selon leurs critères, me considère légalement aveugle. Heureusement, dans la vraie vie, la situation est meilleure que ces résultats théoriques laissent croire. Je ne veux pas dire que les tests ne sont pas valables, loin de là, mais plutôt qu'il n'existe aucun test qui soit à la fois simple et objectif pour mesurer acuité visuelle. Mon optométriste confirme d'ailleurs cette affirmation. D'ailleurs, certains chercheurs parlent de mettre à jour ces méthodes d'évaluation pour en améliorer la signification.

Sans nous en rendre compte, la vue, comme les autres sens, fonctionne en partie par association d'idées et interprétations. Lorsque nous regardons un spectacle par exemple, nous concentrons davantage d'attention sur les artistes et leur performance que sur les détails architecturaux de la salle qui pourtant, sont beaucoup plus gros qu'eux. Lorsqu'un ami vous montre une photo de son dernier voyage, même si elle a été prise avec un mauvais appareil, il la trouvera généralement belle. C'est le souvenir qu'elle évoque qui compte pour lui, et non la qualité technique, même si les défauts sautent aux yeux de certains (même aux miens!). Ainsi, lorsque je descends une pente de ski ou que je roule à vélo, je n'ai pas à connaître la forme et la texture exacte de chaque obstacle. L'important, c'est de voir suffisamment d'avance pour pouvoir regarder là où il faut aller pour l'éviter.

Ma distance de perception ainsi que mon acuité sont inversement proportionnelles à la distance. Les lunettes et les verres de contacts avec lesquels vous avez l'habitude de me voir me permettent: de percevoir les automobiles à environ 200 mètres; de compter le nombre de passagers à 20 mètres mais ne reconnaître les visages de ceux-ci qu'à 7 ou 8 mètres. En circulant sur une autoroute, les panneaux de signalisation avec symboles me laissent le temps de compter environ 5 secondes avant de les croiser. Cependant, ceux qui comportent des inscriptions à lire me laissent à peine le temps de les voir au dernier instant. Pour pouvoir les lire, je dois m'aligner dessus. Alors, de toute évidence, il n'est pas question de conduire de véhicule moteur, mais je fais régulièrement du vélo en me sentant tout à fait à l'aise, même en ville.

Existe-t-il des lunettes pour corriger ta vue ?

Oui, mais j'ai déjà le meilleur de ce que la technologie peut m'offrir. Des verres plus forts l'améliorent pour la vision de près mais rendent flou ce qui se trouve au loin. Ainsi, pour lire, j'utilise une autre paire qui me permet de voir un paragraphe complet dans un livre. Pour le travail de précision ou pour la lecture de très petits caractères comme ceux du dictionnaire, je fais appel au double foyer de ma lunette gauche. Ce foyer me donne "100%" de vision mais seulement jusqu'à 5 centimètres avec un champ tel que je ne vois que 3 ou 4 mots à la fois. Si j'avais cette même vision avec un champ normal et au loin, je pourrais piloter un avion! Il y a des situations où il n'est pas pratique de se rapprocher comme lorsque je cherche une adresse, j'utilise alors une petite jumelle compacte que je peux traîner dans mes poches.

Pourquoi as-tu un double foyer seulement pour un oeil ?

Le principe de la perception des distances repose sur la disparité entre les images de chaque œil. Le cerveau analyse ces différences et les traduit par trigonométrie, en terme de distance. Plus on se rapproche, plus les images diffèrent et réciproquement. Si on se rapproche trop, le principe ne fonctionne plus et on voit double. Parce que mon foyer n'est utilisable qu'à 5 cm, je verrais double si je tentais de regarder des deux yeux dans de telles conditions. Pour vous en donner une idée, essayez de regarder un objet mince à la verticale, par exemple un crayon, des deux yeux en même temps à cette distance. Or, pour cette raison, on me l'a mis à l'œil le moins handicapé, c'est-à-dire le gauche, afin d'assurer le maximum d'amélioration pour ma vision de près.

Est-ce que le port de verres fumés t'aiderait avec le soleil ?

Jusqu'à tout récemment, les expériences que j'ai eues avec des verres fumés n'ont pas été très convainquantes. Lorsque je tentais d'en porter, je n'avais plus d'éblouissement devant moi mais les rayons entraient quand même de pleine force par les côtés. Évidemment, mes pupilles se contractaient et l'image s'assombrissait. La solution logique qui semble évidente est de faire des verres assez grands et courbés pour offrir un bon champ de vision protégé. Tout va bien avec de faibles degrés de correction. Cependant, cela se complique lorsqu'il s'agit d'une correction de +6 comme dans mon cas. Les déformations d'image provoquées par la courbure du verre, qui peuvent être acceptables et auquel une adaptation est possible jusqu'à environ +2, deviendraient insupportables au-delà de cette limite.

Pour résoudre le problème nous avons travaillé conjointement, mon optométriste et moi, sur une solution. Le port de lentilles cornéennes semblait prometteur mais encore là, fallait-il qu'elles soient portables. C'était loin d'être évident car à cette force, elles devaient avoir une épaisseur de presque 0,5 mm. Après de multiples essais infructueux, une version améliorée de lentilles à port prolongé offrant une meilleure perméabilité à l'oxygène on fait leur apparition sur le marché. Cela ne me permet peut-être pas de les porter durant deux semaine et de dormir avec mais si je les enlève en fin de la journée, tout va bien. Je peux donc maintenant porter des lunettes de soleil sans correction, avec la courbure nécessaire pour empêcher l'éblouissement par les cotés et en prime, du modèle qui me plaît.

Les verres de contact offrent la même acuité que mes lunettes. Cependant, il n'y a plus de monture qui restreint mon champ de vision. En plus, l'absence de buée et de gouttelettes d'eau sont des éléments forts appréciables.

Ton handicap te donne-t-il des complexes ?

Plus maintenant et depuis un bon bout de temps. Étant né avec, ce n'est rien de comparable à quelqu'un qui naît "normal" et qui perd une faculté par la suite. Actuellement, je crois que les personnes compétentes ont essayé, au mieux de leurs connaissances, de m'aider à le contourner, et le reste de la démarche n'en tient qu'à moi.

Pour être honnête, la situation qui me donne un sentiment de dévalorisation, c'est lorsque les gens jugent que je ne dois pas faire ceci ou cela, en raison des risques. Jusqu'à maintenant, je n'ai rencontré aucune personne capable d'évaluer mieux que moi-même ce que je vois. Malheureusement, il y a eu occasionnellement des gens qui m'ont traité de téméraire. J'avais simplement descendu une piste de ski, à la même vitesse qu'eux, ou approché le bord d'une falaise (tout comme eux). Ils croyaient que je ne la voyais pas. Bref, j'ai déjà eu affaire à des gens qui m'ont pris pour un enfant.

Le degré de confiance varie selon la mentalité des gens de divers clubs d'activité de plein air ou autres organismes dont je suis membre. A part une minorité d'exemptions, le bilan est surtout positif. Les Portageurs (un club de canot-camping) ainsi que la Patrouille canadienne de ski sont des modèles d'ouverture d'esprit. Cependant d'autres clubs comme le CMGR comportent, à mon avis, trop de gens qui se fient à leurs préjugés plutôt que de poser des questions.

Quand j'ai commencé à faire du canot et du ski de fond, certains confondaient mes erreurs de débutant avec l'incapacité visuelle. J'ai dû donc faire mes preuves, même là où on m'acceptait. C'est comme dans beaucoup de situations de la vie: entre le droit et la reconnaissance, il y a parfois un gouffre qu'il faut malgré tout tenter de franchir.

Christian F.

P.S. En 1985 une enseignante en cinéma de l'Université Concordia à Montréal, Lois Siegal ainsi que Brian Orford, technicien de laboratoire à l'Office National du Film du Canada (ONF), ont tourné un documentaire sur le sujet. Le titre est Strangers in town. En part des quelques secondes où je baragouine l'anglais, le film comporte une panoplie de témoignages révélateurs dont celui du très connu guitariste rock Jhonny Winter. Nous ne nous sommes jamais rencontrés en personne mais nous sommes interviewés dans ce film.


Merci à ceux qui m'ont appuyé !
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